Ca chauffe dans les fonds marins

This article by Raf Custers has first been published in Gresea Echos n°118, June 2024, the quarterly magazine of Gresea, Brussels ‘Métaux critiques : quand l’Europe mine sa transition

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UN Ocean Days Lisbon 2022 - Photo by Greet Brauwers - Click for high res

Introduction

L'année 2024 ne fait que débuter [ce texte a été rédigé en mars 2024], et le secteur de l’exploitation minérale marine a déjà été très actif : une entreprise minière étatsunienne espère arracher l'autorisation d'exploiter les fonds marins dès cet été ; une autre, belge, bricole un système d'exploitation intégré. Comme toujours, l’industrie minière sous-marine inonde les décideurs et l’opinion publique de sa propagande. La nouveauté se trouve plutôt dans les démarches géopolitiques qui concernent directement cette « industrie émergente ». Les puissances sont en guerre, ou s'y préparent, et cela se manifeste dans la chasse aux matières premières, y compris celles se trouvant dans les profondeurs abyssales de l'océan. Les fabricants d'armes et autres industriels veulent sécuriser leurs approvisionnements, les compagnies minières s’y attèlent au détriment des grands fonds marins.

Norvège: après le pétrole, les métaux de l'Atlantique

Janvier 2024, le parlement norvégien vient d’autoriser l’exploration de potentiels gisements de métaux dans les fonds marins de l'Atlantique Nord. Le pays qui s'est enrichi grâce à l’exploitation de ses champs de pétrole et de gaz offshore va donc s’orienter vers l'extractivisme minier dans la grande bleue.

La Norvège autorise les explorations minières des fonds marins, ouvrant la porte à une future exploitation. À cette fin, le pays a identifié un vaste « territoire » de 592.500 km2 qui s'étend à l’ouest du pays. La première cible est une région sous-marine au nord de l'île Jan Mayen. Cette île marque le sommet d'une chaîne de montagnes sous-marine dans l'Atlantique Nord, à mi-chemin entre la Norvège, l’Islande et le Groenland.

Des expéditions vers cette dorsale médio-océanique ont identifié deux types de gisements attractifs pour les industriels : des encroûtements polymétalliques et des sulfures hydrothermaux - résultant d'activités volcano-tectoniques dans l'océan. D'après les experts de la Direction norvégienne du pétrole, les sulfures hydrothermaux contiennent du plomb, du zinc, du baryum, du cuivre, du cobalt, de l’or et de l’argent. Les encroûtements contiennent de « hautes concentrations de lithium, scandium et de terres rares ». [Resource Report Exploration 2020, Norwegian Petroleum Directorate, novembre 2020]

Les zones visées se situent bien au-delà de la frontière des 200 miles nautiques de la Zone économique Exclusive (ZEE) de la Norvège. En 2009, le pays a obtenu la reconnaissance de l’extension de son plateau continental auprès de la Commission des Limites du Plateau Continental des Nations Unies. La Norvège peut dès lors exploiter les ressources de cette zone de haute mer comme si elle y était chez elle.

Les entreprises désireuses de lancer des opérations devront d'abord obtenir une licence du gouvernement. Le premier candidat pressenti est l'entreprise norvégienne Loke. Elle s'est faite remarquer au moment du rachat de UK Seabed Resources, la filiale britannique de deep-sea mining du géant de l'armement étatsunien Lockeed Martin - qui aurait donc abandonné cette industrie prometteuse.

ENCADRé - Le cadre politique

« L’accès aux ressources minérales marines pour l’exploration ou d’exploitation n’est pas libre. Ces activités ont un régime dépendant de leur localisation » (IFREMER,2014). Les États côtiers gèrent souverainement la mer devant leurs côtes. Ils peuvent instituer une zone de 200 miles nautiques (Zone économique exclusive ou ZEE) dans laquelle ils peuvent autoriser des activités extractives (par. ex. l'extraction de sable).

Les grands fonds marins se trouvent au-delà des limites de juridiction des États. Leur gestion est confiée à l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM ou ISA en anglais), un organisme multilatéral basé à Kingston en Jamaïque.

Si l'exploration est autorisée dans les eaux internationales, l'exploitation ne l'est toujours pas. Depuis le début du siècle, l'AIFM a donc octroyé des licences d'exploration pour différents types de gisements. Mais l'AIFM travaille aussi à la rédaction d’un Code minier pour les eaux internationales. Les discussions à ce sujet ont commencé en 2014. Un projet de texte « consolidé » a été présenté en mars 2024, au début de la session de printemps de l'AIFM. S'il est adopté, ce texte ouvrira la voie à l’exploitation commerciale des minerais des grands fonds marins.

The Metals Company (TMC), une entreprise canado-américaine, fait pression sur l’AIFM en lien avec la « clause des deux ans ». Cette clause, tirée de l’annexe de la convention de Montego Bay [Law of the Sea, 1982], impose à l’AIFM de proposer une législation sous deux ans à partir du moment où un État déclare son intention de demander un permis d’exploitation minière. Dans ce cas, The Metals Company a déclenché cette clause en 2021, à travers sa filiale NORI. NORI est sponsorisée par Nauru, une île État du Pacifique.

Inspiré par des résistances « locales » - comme celles en Papouasie Nouvelle-Guinée ou en Nouvelle-Zélande - un mouvement mondial plaide pour l’instauration d’un moratoire concernant l’exploitation des métaux des océans, sur base du principe de précaution : on ne peut permettre que quiconque se lance dans des activités industrielles sans que leurs impacts soient connus et que les remèdes soient applicables.

L'AIFM compte actuellement 168 pays membres, plus l'Union européenne. Les États-Unis ont signé l'acte de sa fondation, mais ne l'ont pas ratifié ; ils ne disposent donc que d’un statut d’observateur. L'AIFM se réunit deux fois par an. En mars 2024, la 29e session s'est ouverte avec la présence de plusieurs participants belges, notamment Ellen De Geest (ambassadrice), Steven Vandenborre (SPF Environnement), Kris Van Nijen (DEME-GSR) et Noemi Wouters (AIFM).

Pour l'Europe, l’approvisionnement est primordial

Bien que la Norvège ne soit pas membre de l'Union européenne, elle observe sans doute avec attention la frénésie de « Bruxelles » concernant la relance minière, et espère devenir la fournisseuse des industries du vieux continent. Le sujet ne fait pourtant pas consensus au niveau politique.

Le Parlement européen n'a pas tardé à condamner la législation norvégienne. Le 7 février, il a voté une résolution qui souligne les menaces de l’exploitation minière marine pour les écosystèmes et a fait appel à la Commission et aux États membres pour « promouvoir un moratoire autour du deep-sea mining » [EUParlement, doc B-9-2024-0095].

Mais les institutions européennes sont-elles pour autant unanimes sur cette question ? N'ayant que peu de mines en activité sur son territoire, l'UE dépend lourdement de l'extérieur pour ses livraisons de métaux. La Chine est sur toutes les lèvres. Ce pays détient en effet d'importantes réserves de métaux de base et des infrastructures pour les traiter, mais s'en sert avant tout pour son propre développement.

Pour faire face à ce défi, l'Union européenne a créé l'Initiative matières premières (IMP) en 2008. Ce dispositif visait à pallier les carences de l’Union, notamment par le biais d’une diplomatie économique active [Gresea Echos n°86, Juin 2016]. Ces dernières années, la Commission a conclu plusieurs « partenariats stratégiques » pour les matières premières : avec le Canada et l'Ukraine en 2021, avec le Kazakhstan et la Namibie en 2022, avec l'Argentine et le Chili en juillet 2023 et avec la Zambie et la RD Congo la même année.

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, a récemment célébré « le partenariat stratégique » avec le Groenland (partiellement autonome par rapport au Danemark) « pour développer des chaînes de valeur durables de matières premières » [EUCom doc IP_23_6166]. En février 2024, l'UE et le Rwanda ont conclu « un accord important visant à développer des chaînes de valeur durables et résistantes pour les matières premières essentielles » [EUCom doc ip_24_822]. Cet accord a été vivement critiqué puisque le Rwanda revend des métaux ravis chez son voisin congolais avec lequel il est d’ailleurs indirectement en guerre.

Le dispositif de l'IMP n’a visiblement pas suffit. Il y a deux ans, le Commissaire européen Thierry Breton a donc annoncé son extension, peu après l’annonce des constructeurs allemands Volkswagen et Mercedes de se ravitailler davantage au Canada à l’avenir. Une des compétences du Commissaire Breton est d'aider l’industrie européenne « à mener la transition verte et numérique ». Parmi les industriels européens qui demandent à sécuriser leurs approvisionnements en métaux, on retrouve le secteur de l’armement, et ce de manière toujours plus appuyée [Lora Verheecke, Creuser pour mieux armer, Gresea Echos n°118].

Pour assurer l’accès à davantage de matières premières critiques (ultra-nécessaires, mais difficiles à obtenir), Breton a lancé le Règlement sur les matières premières critiques (ou CRMA, en anglais) en septembre 2022. Ce document a finalement reçu l’approbation du Conseil des ministres européen en mars 2024. Il encourage le secteur minier à investir dans les pays membres de l'UE et supprime de nombreuses entraves pour de futures exploitations.

Lors des discussions autour de ce règlement, les Amis de la Terre ont par exemple fait remarquer que le projet de texte ne renforçait pas la protection d'écosystèmes fragiles et menacés par l'industrie minière « comme les zones Natura2000, l'Arctique ou les fonds marins » [Friends of the Earth, Mining-the-depths-of-influence, juillet 2023]. Notons aussi qu'un chapitre entier du Règlement est consacré aux besoins de l'industrie de l'armement et de la sécurité.

Le CRMA – malgré la prise de position du Parlement européen en faveur d’un moratoire - n'exclut pas explicitement l'exploitation minière des fonds marins de sa stratégie d'approvisionnement, mais lui laisse la porte entrouverte.

Serait-ce lié au lobbying de l'industrie minière sous-marine autour du CRMA ? L'unique clause du règlement qui lui est finalement consacrée stipule que « La Commission ne peut pas accorder le statut de projet stratégique à un projet d’exploitation minière en eaux profondes avant que les effets de l’exploitation minière en eaux profondes sur le milieu marin, la biodiversité et les activités humaines n’aient fait l’objet de recherches suffisantes, que les risques n’aient été correctement évalués et qu’il ne soit établi que les technologies et les pratiques opérationnelles envisagées ne portent pas gravement atteinte à l’environnement. [EUParlement doc TA-9-2023-0454] »

Le secteur minier a bataillé pour remplacer l'expression « ne porte pas atteinte » par « ne porte pas gravement atteinte ». Fin 2021, l'entreprise belge GSR - qui dispose d’un permis d’exploration dans le Pacifique pour des nodules polymétalliques et parrainée par la Belgique - applaudissait un vote au Parlement européen. Celui-ci a en effet adopté une résolution qui conditionne l’exploitation des ressources minérales marines. Le secteur minier devra prouver que ses technologies et opérations « ne nuisent pas sérieusement à l’environnement ». Ceci, note encore GSR, marque un changement significatif dans le positionnement du Parlement européen. La Commission a finalement fait de cette position la sienne dans le Règlement sur les matières premières critiques. Les entreprises peuvent donc simplement promettre d'éviter le pire, tout comme elles promettent de rester en dessous des seuils que des consultants, proches de l'industrie, sont en train d'élaborer.

L’ambiguïté persiste toujours du côté de la Commission européenne, notamment en lien avec des lignes de conduite définies par le passé. Dans son texte sur la « Croissance bleue » (Blue Growth, 2012), la Commission énumérait déjà des opportunités pour les investisseurs. L'une d'entre elle est la biotechnologie bleue, une autre est l'exploitation minière marine. « En 2020 », expliquait le document, « 5% des minerais du monde, y compris du cobalt, cuivre et zinc, pourraient provenir des fonds marins. Cela pourrait augmenter à 10% en 2030 ». [EUCom, Blue Growth, 2012]

La propagande: un tsunami d'air gonflé

Les projections que l’on retrouve dans la communication Blue Growth concernant l’utilisation de minerais provenant du fond des océans ne font pas exception. Les constructeurs d'automobiles y sont probablement pour beaucoup. Autour de l'an 2010, peu après le crash des industries financières, les constructeurs européens prennent pleinement conscience que la fin des voitures à moteur thermique approche.

Les véhicules électriques propulsés par des batteries rechargeables sont exhibés lors des Salons de l'Automobile. Les constructeurs commencent à établir leurs projections sur les ventes de véhicules électriques. Renault et son associé japonais Nissan tablent alors sur 1,5 million de véhicules vendus « dans cinq ans » (en 2016).

Et les décideurs se prêtent à reproduire ces prévisions. Lorsque la Commission européenne écrit en 2010 que "les véhicules électriques à batteries représenteront de 11 à 30% des ventes de véhicules neufs en 2030", elle cite le think-tank IHS Global Insight comme source. D'autres, comme la banque UBS, Benchmark Mineral Intelligence ou Bloomberg's New Energy Finance, reprennent ensuite ce rôle de devin. Ils sont suivis par la Banque Mondiale, l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE) et l'Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE).

Tous crachent des prédictions et leurs conclusions sont quasi identiques : si le monde veut réaliser une transition énergétique, y compris une transition de la mobilité, la production de métaux doit augmenter dans des proportions pharaoniques. C'est la seule façon, estiment ces lobbys, de maîtriser la crise climatique.

Les entreprises du deep-sea mining exploitent habilement cette propagande. Selon elles, les métaux qu'elles extrairont des fonds marins seront indispensables pour les mégaflottes de véhicules électriques de l'avenir. Gerard Barron, patron de The Metals Company, le dit ainsi en 2019: « Pour illustrer le choix qui s'impose, je me concentre sur l'électrification de la flotte d'automobiles mondiale. Il y a aujourd'hui 1,2 milliard de voitures. Disons que nous faisons tout pour réduire l'utilisation de l'automobile et que nous réussissons à maintenir la flotte à un milliard de voitures, malgré la croissance de la population mondiale jusqu'à 9,8 milliards en 2050. Cela serait miraculeux, mais travaillons avec ce chiffre pour la simplicité de la chose. Un milliard d'autos supposent que nous fabriquons un milliard de nouvelles batteries pour ces véhicules. Si ces batteries sont aussi avancées que celles de Tesla, nous aurons besoin de 56 millions de tonnes de nickel, 6,6 millions de tonnes de manganèse et 7,1 millions de tonnes de cobalt. Pour les batteries et les systèmes électriques, il nous faudra également 85 millions de tonnes de cuivre. Où allons-nous trouver tous ces millions de tonnes ? » [Gerard Barron, patron de DeepGreen, devant le Conseil de l'AIFM, 2019] Pour Barron la réponse est évidente : dans ses concessions minières au fond de l’océan Pacifique.

Ces alertes répétées ont forcément une influence sur l'opinion publique. De leur côté, certains chercheurs voient des menaces partout. Un exemple belge : « Le tsunami des véhicules électriques chinois est à nos portes et l'Europe est en train de somnoler vers l'abîme ». Ce slogan bien pathétique ouvre le documentaire Made in Europe: from Mine to Electric Vehicle [en ligne].

Réalisé en 2023 par l'éco-ingénieur Peter Tom Jones, le film prétend démontrer que l'Union européenne a urgemment besoin d'une renaissance minière et dispose d'une expertise de premier rang. Jones, directeur de l'Institut de Métaux et Minerais durables à l'Université de Leuven, reconnaît qu'il a retourné sa veste. Guru du recyclage des matériaux des décharges pendant des années, il est dernièrement devenu partisan de la mine. Il s’exprime sans réticence ni distance. Lui aussi reprend donc une projection bien audacieuse : d'ici 2040 la demande mondiale de lithium devra être multipliée par 42, celle de cobalt par 21 et celle de nickel par 19 "si nous voulons en terminer avec notre dépendance des carburants fossiles polluants". L'origine de ce calcul s’est perdu dans la chambre d’écho des extractivistes.

Les entreprises contribuent à brouiller davantage les débats. Les exemples de managers et consultants qui se mêlent aux comités de rédaction et s'y présentent avec une casquette de scientifique abondent. Les admonitions sont de plus en plus suivies de leçons de morale.

Michael Lodge, pourtant secrétaire général de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) : « De dire "N'endommagez pas l'océan" est le message le plus facile, n'est-ce pas ? Il faut juste montrer une photo d'une tortue avec une paille dans le nez. Tout le monde à Brooklyn peut dire : je ne veux pas endommager l'océan. Mais ils veulent tous leur Tesla. » [Eric Lipton , Secret Data, Tiny Islands and a Quest for Treasure on the Ocean Floor, NYTimes 30 août 2022.]. Ou encore Peter Tom Jones: « Les Européens veulent les Teslas, mais pas les mines indispensables pour cela. Mais “il n’y a pas de repas gratuit”. Il faut faire des compromis. C'est cela ou ne pas atteindre les objectifs climatiques et s’appauvrir » [sur LinkedIn].

ENCADRé - Ces sédiments merdiques

Le comportement de la boue et des sédiments des fonds marins sont parmi les pires casse-têtes des industriels du deep-sea mining. Ces sédiments sont remués par les excavatrices qui ramassent les nodules polymétalliques et forment des nuages. Ces nuages se répandent dans les eaux des abysses et recouvrent toutes les espèces vivant aux alentours du site minier. Un deuxième type de nuages est créé quand des sédiments sont reversés en mer par les navires de surface qui collectent les nodules dans leurs cales. Ces nuages se répandent jusqu'à 200 kilomètres, selon une simulation. [Dr. John Luick, visualisation INTERPRT, Blue Peril, août 2022] Cet impact est immédiat et connu par les dizaines de tests effectués par des scientifiques et des entreprises.

En 2021, l'entreprise belge GSR a consacré une bonne partie de sa campagne dans le Pacifique pour mesurer les nuages de sédiments. Selon des scientifiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston, ces expériences devraient calmer les critiques, puisque les nuages ne monteraient pas plus haut que les engins qui les ont provoqués et ne voyageraient que sur quelques dizaines de mètres.

Les derniers à s'exprimer à ce sujet sont les géo-ingénieurs. Des chercheurs chinois proposent de pulvériser des polymères sur les nuages de sédiments pour qu'ils floculent [wikipedia : La floculation est le processus physico-chimique au cours duquel des matières en suspension dans un liquide s'agglomèrent] rapidement et rétrécissent. [International Journal of Mining Science and Technology, décembre 2023] Dans leurs labos, ces polymères ('polyaluminum chloride') ont compacté les particules de boues et réduit la 'turbidité' des eaux environnantes. Une solution de 0,75 gramme de polymères dans un litre d'eau aurait déjà l'effet voulu.

Toujours est-il que les expérimentations du MIT et de l'équipe chinoise ont été réalisées à échelle réduite. Leurs auteurs ont tendance à dire que leurs conclusions valent aussi pour des opérations à échelle industrielle.

En tout cas, la solution technique pour réduire la turbidité de l’eau pourrait intéresser les industriels. Au risque de déverser toujours plus d’éléments chimiques dans l’environnement, à l’image du mercure utilisé pour extraire artisanalement des pépites d'or des lits des rivières.

Pour l'interdiction

Quoiqu'il en soit, partisans et contestataires du deep-sea mining s'accordent sur le fait que cette industrie émergente détruira des écosystèmes dans les zones d'extraction sous-marine. Dans ces environnements marins si particuliers, les nodules sont les seuls substrats durs sur lesquels des organismes peuvent se greffer pour exister. L'enlèvement à échelle industrielle de ces nodules signifie que tous ces organismes disparaîtront avec eux.

Le rythme biologique de cet environnement à grande profondeur étant extrêmement lent, les organismes présents ne réapparaîtront qu'après des décennies, voire des siècles, si tant est qu’ils réapparaissent. En témoignent des zones abyssales 'perturbées' de manière expérimentale en 1989 devant les côtes du Pérou : lorsque les scientifiques revisitent ces lieux (comme encore en 2015), ils les retrouvent inchangés comme si le temps s'y était arrêté.

L'industrie prétend qu'elle veut régler la question de la pénurie de certains métaux critiques, que cela est nécessaire, et qu'il faudra accepter les dégâts liés. Même sans être frontalement hostile à cette logique, il est difficile de voir sa raison d'être, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord parce que l’éventuelle légitimation technologique de cette exploitation s'effondre. De nouvelles technologies de batteries utilisent de moins en moins, voire plus du tout, de métaux critiques que l’on retrouve dans les nodules. Cette nouvelle génération de batteries occupe déjà 50% du marché des batteries rechargeables pour véhicules électriques.

Ce chiffre a été avancé le 27 mars dernier, par Dan Kammen, professeur d'énergie renouvelable à Berkeley, pendant une conférence de l'AIFM à Kingston. Lors de cette même conférence, Michael Norton, directeur au conseil d'avis de l'Académie européenne des sciences a déclaré : « Nous devons mettre notre maison terrestre en ordre », par un recyclage amélioré et une meilleure règlementation du secteur minier, plutôt que d'aller vers la frontière environnementale suivante et la détruire '[Blue climate initiative, mars 2024].

A ce jour, nous ignorons toujours les montants investis par l'entreprise belge GSR pour son projet de deep-sea mining. Ils auraient dépassé les 100 millions d'euros. Mais à en croire des analystes, on devrait se demander pourquoi ils persistent, puisque le deep-sea mining n'aurait aucun avenir économique - à moins que GSR et son propriétaire DEME aient une autre stratégie que l'extraction de nodules en tête.

« Les investisseurs qui voudraient se lancer dans cette industrie doivent faire un travail sérieux de diligence raisonnable », a déclaré Bobbi-Jo Dobush de l’Ocean Foundation, également présent à Kingston. Les coûts sont élevés, les défis techniques importants, et après dix ans de discussions à l’AIFM, le cadre légal pour un code minier n'est toujours pas établi. Par ailleurs, les communautés locales et les avocats des droits humains ne laisseront pas passer la mise en place d’un code pour l’exploitation minérale des fonds marins sans réagir.

Finalement, les entreprises auront-elles la capacité et la volonté de sauvegarder les droits sociaux et l'environnement comme elles le promettent ?

La question n’a rien de rhétorique, surtout lorsque l’on sait que l'entreprise américano-canadienne The Metals Company (TMC) lutte contre son insolvabilité depuis sa création. Ses actions sont cotées à la bourse technologique NASDAQ à New York. Mais leur cours frôle en permanence la limite de 1 dollar. TMC agit périodiquement pour ne pas laisser la valeur de ses actions descendre trop longtemps sous le seuil d’un dollar. Cela lui coûterait sa cotation au NASDAQ.

La perturbation du travail de l'AIFM (en exigeant de pouvoir exploiter les fonds marins sous deux ans) sert aussi à faire monter, ne fût-ce que temporairement, le cours boursier de TMC. Un phénomène observé à chaque intervention de NORI, filiale de TMC, pour pousser l'AIFM à adopter un Code minier autorisant l’exploitation minière des grands fonds marins. Régulièrement, le cours boursier de TMC monte, pour aussitôt redescendre. Les spéculateurs ne semblent pas vouloir investir dans TMC et l’exploitation minérale marine.

Les nodules contre la Chine

Restent les amis-alliés d'outre-Atlantique. Les États-Unis ont signé la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, dite de Monytego-Bay, en 1994. Ils participent aux réunions de l'Autorité internationale des fonds marins, à Kingston. Mais ils n'ont pas ratifié la Convention et se sont exclus du mécanisme qui attribue des licences à des parties contractantes, qu'elles soient des instituts scientifiques ou des entreprises.

Une fronde s'organise en ce moment pour attaquer les grands fonds marins. Elle est menée par des députés et des sénateurs républicains, réunis entre autres dans le Comité des Ressources naturelles du Congrès (dont la devise est: 'Putting Conservatives Back Into Conservation').

Ce groupe est motivé - il le dit explicitement dans ses textes - par un anticommunisme enragé contre la Chine. Ses membres ont introduit une proposition de loi qui demande que le gouvernement 'donne des soutiens financiers, diplomatiques et autres à la collection de nodules des fonds marins'.

Gerard Barron, le patron de The Metals Company, a applaudi cette démarche. Les autres compagnies minières marines, y compris l'entreprise belge GSR dans la personne de Kris Van Nijen, ont participé à un brainstorming à Washington avec le gouvernement américain. Selon The Metals Company (sur LinkedIn), cette réunion était convoquée par le Wilson Center, un think tank. Elle devrait 'aider à donner forme à notre future chaîne d'approvisionnement de minerais critiques'.